Matt Georges et Perly sont sûrement deux des photographes de snowboard les plus en vue du moment. Ils ont allié leurs forces pour lancer un coffret du nom de Club Sandwich. On vient de leur faire une interview pour tout savoir sur ce projet que vous pouvez commander en ligne en exclusivité chez MerciDistillery :
www.mercidistillery.com/products/club-sandwich-vol-1
Comment vous ĂȘtes-vous rencontrĂ©s ?
Perly : A lâĂ©poque dâAdvita donc vers 2005. Matt devait shooter une cover de mon pote Sylvain Monney aka Lami. Il y avait tout un concept derriĂšre. Lami faisait un ollie et nous on posait derriĂšre avec Max Delayen. On avait des masques blanc et Mat avait fait un montage sur Photoshop oĂč il nous dĂ©multipliait. Jâen avais complĂštement oubliĂ© lâexistence, mais elle est ressortie dans le livre sur lâhistoire de Method Mag cette annĂ©e.
Matt : On a dĂ» se croiser pas mal de fois avant, sur la neige ou en soirĂ©e. Mais comme chez Advita ils Ă©taient tous habillĂ©s pareil, câĂ©tait dur de les diffĂ©rencier ! Mais en effet câĂ©tait pour une couverture de Method un peu conceptuelle. Quand jây repense aujourdâhui câĂ©tait vraiment nul ce truc. CâĂ©tait la mode des bomb drops, de MFM et le style snowboard/hip-hop de l’Ă©poque.
DâoĂč est venue lâidĂ©e de Club Sandwich ?
Matt : Jâavais un nouveau livre Dirty Dogs sur le feu depuis dĂ©jĂ quelques temps mais jâĂ©tais bien pris avec ma vie de famille, mes projets pour Vans, mes autres bouquins et mes nombreux voyages. Je manquais cruellement de temps. Plus les mois passaient et plus ce volume 2 devenait ambitieux, du genre 350 ou 400 pages. Jâai prĂ©fĂ©rĂ© mettre tout ça de cĂŽtĂ© et me pencher sur un autre concept moins lourd. Je venais de finir le projet TRIPLE de Vans et jâĂ©tais dans une phase hyperactive fin octobre 2019. Jâavais cette boite dâarchive photo noire, aimantĂ©e, bien classe, qui trainait dans mes packagings. Je me suis imaginĂ© la customiser avec des sprays, la numĂ©roter et la remplir de zines, stickers et cartes postales. Jâai alors appelĂ© Perly pour savoir si ça le motivait de faire parti de ce projet sans nom. En passant des heures au tĂ©lĂ©phone, il a balancĂ© « Club Sandwich » et ça avait tout son sens ! Câest cool de bosser en duo, ça permet de prendre du recul sur son travail.
Perly : Jâavais super envie de me lancer dans ce genre d’aventure. J’avais dĂ©jĂ fait un zine avec Adidas lâannĂ©e prĂ©cĂ©dente pour la sortie de Blender. Mais je ne me voyais pas le faire tout seul. Du coup jâen ai fait part Ă Matt qui avait dĂ©jĂ le concept de la boite avec plusieurs zines Ă lâintĂ©rieur et nâen est pas Ă son coup dâessai entre The Dirty Dogs, les Vans First Layer et Triple. En plus dâĂȘtre photographe, il est graphiste, donc je pouvais foncer les yeux fermĂ©s.
Est-ce que vous avez déjà bossé ensemble avant ça ?
Perly : On a fait un trip Absinthe en NorvĂšge, ultra nul qui m’avait coĂ»tĂ© super cher. L’un des pires trips de ma vie. Mais mĂȘme dans les pires conditions, on avait bien rigolĂ© donc je savais que le courant passait.
Matt : On est souvent seul dans notre mĂ©tier de photographe et câest assez rare dâĂȘtre plusieurs sur un mĂȘme trip. Quand jâai commencĂ©, jâavais vraiment ce sentiment de concurrence. Il fallait faire ses preuves et sa place. On se croisait rarement, sauf en soirĂ©e. Ă prĂ©sent on est tellement peu de photographes quâil y a beaucoup plus de solidaritĂ© entre nous. A part faire des blocs pour un kicker, je nâavais jamais rien construit dâautre avec Perly.
Comment sâest passĂ©e cette collaboration ? Comment avez-vous choisi les autres photographes ?
Perly : La premiĂšre conversation Ă©tait dĂ©but novembre et la soirĂ©e de lancement mi DĂ©cembre. On a eu 6 semaines pour monter le concept, trouver un nom, choisir les photographes, rĂ©colter les photos, la mise en page, passer les commandes, monter les boites une par une et trouver un moyen de les distribuer. Tout sâest fait naturellement via des heures de Skype et de WhatsApp. On avait chacun des idĂ©es pour les photographes et les premiers Ă qui on a demandĂ© Ă©taient chauds.
Matt : CâĂ©tait super tendu ce timing. En gĂ©nĂ©ral tu as envie de passer du temps sur un projet perso et de le laisser murir. Mais lĂ câĂ©tait important de le sortir pour NoĂ«l, juste avant lâhiver. Donc on sâest mis un gros coup de bourre dĂ©but novembre. Pour chaque zine, je voulais montrer une facette diffĂ©rente du snowboard. Jâai proposĂ© Ă Perly de faire un une zine street sur Louif Paradis. Ils ont passĂ© pas mal de temps Ă shooter ensemble et ça semblait cohĂ©rent. Je voulais absolument faire quelque chose avec Andrew Miller qui est selon moi lâun des meilleurs photographes de poudreuse. Jâimaginais un truc noir et blanc, assez brut, avec des gros slashs, des faces en Alaska bien extrĂȘmes, ponctuĂ©s par de beaux paysages et portraits. Pas de kicker, que du naturel. Ensuite il y avait Rip Zinger, un photographe nomade japonais. En regardant ses photos, je me suis aperçu quâil y avait beaucoup de snow surfing. On a donc imaginĂ© tous les deux un mix de snow et surf dans la mĂȘme vibe, toujours dans un environnement hivernal. Puis je voulais avoir un zine fait par un snowboarde. Mais Ă part Darrell Mathes avec qui jâavais dĂ©jĂ bossĂ© dans Dirty Dogs, je nâavais pas dâautres idĂ©es. Perly a suggĂ©rĂ© Cole Navin qui shoot beaucoup ses voyages et ses potes de trip. Et pour ma part, je suis allĂ© rendre visite au mois dâoctobre Ă Jamie Nicholls et Katie Ormerod, deux snowboardeurs anglais, sur leur spot local dâHalifax, un dryslope dans le Yorkshire. CâĂ©tait complĂštement dingue ! Concernant le packaging qui est pour moi quasiment aussi important que le reste, je voulais quâun artiste dessine un Ă©cusson qui serait collĂ© sur le dessus. On a donc proposĂ© au snowboarder anglais Will Smith de rĂ©flĂ©chir Ă des illustrations. Chaque zine a le mĂȘme format, A5 vertical, mais possĂšde un papier et une reliure diffĂ©rente. Tout est vraiment rĂ©flĂ©chi au dĂ©tail prĂ©s. Tout le concept en amont Ă©tait dĂ©jĂ pensĂ© avant que Perly ne se joigne au projet. On a affinĂ© ensemble les grandes lignes puis les dĂ©tails. Jâai Ă©tĂ© dâabord bien occupĂ© Ă tout mettre en page et choisir les papiers. Puis il est descendu chez moi dans le sud lorsque 6 palettes de zines, boites et patch ont Ă©tĂ© livrĂ©es. On a passĂ© plusieurs jours Ă monter, coller, customiser, agencer, numĂ©roter et empaqueter chaque boite. Puis prĂ©parer toute la communication, le compte Instagram, la soirĂ©e de lancement chez MerciDistillery. CâĂ©tait vraiment intense !
Pour chaque zine, je voulais montrer une facette différente du snowboard.
Que pensez-vous de cette mode actuelle du coffee table book de snowboard ? Matt tu penses avoir été un peu précurseur des livres sur le snowboard avec Dirty Dog ?
Matt : En effet il y a une vague en ce moment et câest super stimulant ! Je pense que David Benedek y est pour beaucoup avec son livre The Current State of Snowboarding. Un vrai bijoux quâil a mis 5 ans Ă pondre ! NĂ©anmoins Il y a eu pas mal de beaux livres ces deux derniĂšres dĂ©cennies. Voici quelques bonnes rĂ©fĂ©rences pour ceux que ça intĂ©ressent :
Blower – Jeff Curtes et Jared Eberhardt
Transitions & Exits – Ari Marcopoulos
Bluetiful – Neil Hartmann
How many dreams in the dark? – Chris Brunkhart
Slide – Rob Mathis
Snow Beach – Alex Dymond
Strawberry Snow et Into the great white – Yves Sutter
IR-77 – Lukas Huffman
The Eight – Gonzalo Manera
Cold Frame – Yoshiro Higai
Drifting Decade – Daniel Blom
Donc je ne suis absolument pas un prĂ©curseur et ce serait super prĂ©tentieux de le penser. Jâai toujours suivi de prĂšs ce qui se passait dans le skate et le surf oĂč il y a tellement de projets et de crĂ©ativitĂ© comparĂ© au milieu du snowboard. Je voyais Marcel Veldman, un photographe de skate hollandais qui sortait un bouquin appelĂ© FLUFF tous les ans. Il changeait de format et de concept Ă chaque fois et ça mâa inspirĂ©. Jâai ensuite pris des cours de reliure artisanal et jâai lancĂ© mon premier The.Dirty.Dogs. en mode D.I.Y. avec la contribution dâune vingtaine de potes photographes.
Perly : Je trouve ca cool, plus il y en a mieux câest ! Tout est virtuel et a une date de pĂ©remption. On consomme les vidĂ©os et les photos sans vraiment les regarder. Et finalement ces bouquins sont un moyen de laisser une trace. Je suis vraiment content quâil y ait une mode autours du print de qualitĂ©. Ca donne du sens Ă notre travail. Chacun peu sâexprimer comme il veut. Il y a une infinitĂ© de formats et dâidĂ©es. Un de mes livres prĂ©fĂ©rĂ©s câest Snow Beach d’Alex Dymond. Que des vieilles photos de snow du dĂ©but des annĂ©es 90.
On a eu 6 semaines pour monter le concept, trouver un nom, choisir les photographes, récolter les photos, la mise en page, passer les commandes, monter les boites une par une et trouver un moyen de les distribuer.
Le magazine print classique a-t-il toujours sa place dans les mĂ©dias snowboard dâaprĂšs vous ?
Perly : Le magazine, câest compliquĂ©. On a tous Ă©tĂ© Ă©levĂ© avec mais c’est triste maintenant. Je me souviens encore du premier magazine de snow que jâai achetĂ© et je fais surement ce mĂ©tier grĂące Ă ces magazines. Je nâen loupais pas un seul. Jâachetais 4 magazines par mois quand jâĂ©tais ado. En mĂȘme temps câĂ©tait le seul moyen de rester informĂ©. Puis tout a changĂ© tellement vite. Maintenant le modĂšle Ă©conomique ne marche plus vraiment. C’est dur de continuer Ă ĂȘtre ambitieux et crĂ©atif quand les finances ne suivent pas. Donc c’est compliquĂ© sauf pour un ou deux qui arrivent Ă tirer leur Ă©pingle du jeu. Je pense que les marques ne se sont pas forcĂ©ment rendues compte Ă quel point les mags les aidaient pour leur communication et la crĂ©ation de contenu. Maintenant les services marketing se retrouvent tous Ă devoir trouver des concepts, organiser des trips, dealer avec les riders et les photographes. CâĂ©tait les boites de prods et les magazines qui sâoccupaient de ça avant. Pour certains câest facile. Mais souvent on se retrouve Ă traiter avec des gars qui n’ont jamais organisĂ© un trip snow de leur vie.
Matt : Câest une pĂ©riode charniĂšre pour les magazines. A un moment on a privilĂ©giĂ© la quantitĂ©, au dĂ©triment de la qualitĂ©. Il y a eu les dĂ©buts des rĂ©seaux sociaux, certains se sont adaptĂ©s dâautres moins. On a toujours pensĂ© quâil fallait que les mags soient dirigĂ©s par des snowboardeurs (White Out, Act, Method, Pleasure, Torment, The Snowboard Journal) et non des grosses corporations (Onboard, Transworld, Snowboarder) pour que cela fonctionne. Mais jâai lâimpression que dans les deux cas, câest instable comme modĂšle Ă©conomique aujourd’hui. Quand jâai commencĂ© il y a 15 ans, je bossais avec une trentaine de magazines de snow diffĂ©rents. A prĂ©sent, il en reste une dizaine dans le monde. Personne nâa envie de garder un mag sâil y a des pages de pubs moches au milieu de beaux articles. Faire un magazine sans se rĂ©inventer câest comme acheter le Glamour spĂ©cial maillot de bain chaque Ă©tĂ©. Si câest pour reparler des mĂȘmes sujets, on finit par se lasser. Certains titres ont bien rĂ©ussi Ă prendre ce virage, notamment dans le journalisme comme la revue XXI. Les hivers sont courts et il faut beaucoup dâargent pour payer les contributeurs, lâimprimeur, le papier et la distribution. Je nâai pas la rĂ©ponse et encore moins la solution. Je dirai juste que lâĂąge dâor du magazine de snowboard tel quâon la connu, est plus ou moins rĂ©volu.
Ces bouquins sont un moyen de laisser une trace. Je suis vraiment content quâil y ait une mode autours du print de qualitĂ©. Ca donne du sens Ă notre travail. Chacun peu sâexprimer comme il veut. Il y a une infinitĂ© de formats et dâidĂ©es.
MĂȘme si vous faites un livre physique, est-ce que la partie promo digitale vous prend plus de temps de travail que la partie papier ?
Perly : Ca a Ă©tĂ© compliquĂ©. Quand l’hiver a commencĂ©, on n’a plus vraiment eu le temps de sâen occuper. On est parti de zĂ©ro, on a dĂ» crĂ©er toute une communautĂ©. On est loin dâavoir fini et ça prend du temps de le faire correctement. Le confinement va nous donner un peu plus de temps pour nous y consacrer.
Matt : Parles pour toi Perly, tâas pas 3 enfants et lâĂ©cole Ă la maison⊠Jâavoue quâon nâest pas super bon en promo digitale. Câest trĂšs chronophage et finalement assez chiant. Mais on va essayer de progresser et poster plus rĂ©guliĂšrement.
Pourquoi nây a-t-il pas ou trĂšs peu de nouvelles tĂȘtes chez les photographes de snowboard dâaprĂšs vous ?
Matt : Quand on a commencĂ©, on pouvait vivre juste avec les parutions magazines. Câest devenu impossible. Ca explique pourquoi il nây a pas vraiment de nouvelle gĂ©nĂ©ration. Il y a parfois des petits jeunes mais ils ne restent pas. Certains me disent que câest trop physique ou loin de ce qu’ils avaient imaginĂ©.
Perly : On a eu de la chance, câĂ©tait vraiment plus facile Ă notre Ă©poque. Mais si tu commences maintenant mĂȘme avec du talent c’est pas Ă©vident d’apprendre le mĂ©tier, se faire une place et gagner de l’argent. On n’a pas la sĂ©curitĂ© de l’emploi mais c’est un des jobs les plus cool et fun qui existe.
Est-ce quâil y aura une suite Ă Club Sandwich ?
Perly : On est trop chaud, on a dix idées à la minute. Mais il va falloir faire le tri.
Matt : Jâavais presque imaginĂ© le volume 2 avant mĂȘme de terminer le 1 ! Trop de bons photographes et de choses Ă montrer. On aimerait faire une boite analog avec un casting de rĂȘve. Maintenant quâon a presque tout vendu et quâon n’a pas perdu dâargent, on va pouvoir commencer Ă bosser sur le prochain concept. Mais il faut quâon gĂšre notre Instagram dâabord.
Perly : Il y a aussi une collab avec Supreme en route mais on ne peut pas vous en dire plus. Câest une blague mais on a deux ou trois collab sympas dans les tuyaux.
Quel est lâavenir des mĂ©dias snowboard dâaprĂšs vous ?
Perly : Câest excitant! Ca nâarrĂȘte pas dâĂ©voluer. Prenons l’exemple de BangingBees, c’est un mĂ©dia qui fait aussi de l’Ă©vĂ©nementiel, qui crĂ©e du contenu, produit des vidĂ©os et plein d’autres choses. On devient tous un peu en solo des petites agences de com.
Matt : Il y a pleins de bonnes choses en ce moment dans le snowboard et une bonne entente entre les mĂ©dias. Mais il ne faut pas faire ça pour lâargent.
Qui est le meilleur photographe entre vous deux ?
Perly : On ne travail pas de la mĂȘme maniĂšre. Si tu veux des photos sympas dâombres et de reflets faut demander Ă Matt, câest le spĂ©cialiste.
Matt : Faire tous ces bouquins et projets me donne lâopportunitĂ© de voir comment les autres photographes progressent avec les annĂ©es. Perly câest comme du bon vin !âš Mais quand on shoote sur le mĂȘme spot, il me suit pour piquer mes angles. Alors jâessaye de l’orienter vers des fausses pistes pour quâil rate ses photos. Ou je lui parle juste au moment oĂč le rider drop pour le dĂ©concentrer !
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Pour suivre Club Sandwich sur Instagram :
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Interview Julien Mounier